Bien sûr, la représentation n’a pas eu lieu, n’aura pas lieu, mais il y a eu un parcours, et dans ce parcours une séance de répétition exceptionnelle, hors norme, de celles qu’on se rappelle, qui restent dans la mémoire, toujours.
Avec leur professeure de français Vanessa Criqui et leur professeure d’histoire Sabine Tricot, les adolescents de 4e ont visité la Maison de Victor Hugo, ont lu Claude Gueux, cette grande nouvelle, réfléchi au texte et aussi écrit. Quand j’ai lu leurs textes, magnifiques, la structure de la pièce de théâtre s’est dessinée avec évidence, autour de leur écriture.
Vanessa Criqui leur avait demandé d’écrire chacun un monologue à la première personne du singulier : Que se passe-t-il dans la tête de Claude Gueux ? Que se passe-t-il dans votre tête si vous êtes Claude Gueux ?
C’est donc avec un texte structuré par ces écrits que je suis arrivée au collège Verlaine ce jeudi 27 février 2020. Je leur ai dit que j’allais leur lire leur pièce de théâtre, faite de leurs écrits et qu’ensuite nous en discuterions ensemble.
J’ai lu, le silence était complet, l’écoute parfaite et rare. À la fin de la lecture, pas un mot. Je leur ai demandé ce qu’ils en pensaient. Encore du silence. Puis l’un d’entre eux a dit : « C’est bien. » Les autres ont hoché la tête ou murmuré : « Oui. »
Et je me suis rendu compte que ce n’étaient pas des élèves que j’avais devant moi, ni même des adolescents, non, c’étaient des auteurs. Et même, de grands auteurs. Et ils en avaient conscience. C’est un moment rare que nous avons vécu ensemble. Tout ce qui s’est passé lors des deux séances suivantes a son origine dans ce moment-là.
Ils avaient aussi écrit des textes magnifiques sur le sentiment d’injustice, et après leur avoir lu le « montage » je leur ai proposé de lire eux-mêmes ces textes-là, que nous ne retrouverions pas dans la pièce de théâtre mais qui pourraient être enregistrés avec ceux qui le souhaiteraient à la M.G.I. et diffusés avant la représentation proprement dite dans le hall de la M.G.I. Mais ce jour-là, ils ne voulaient pas lire eux-mêmes, ils voulaient prolonger cette expérience, d’être des auteurs qui ont offert un texte, et qui perçoivent comment ce texte voyage maintenant sans eux, existe pour quelqu’un d’autre, que ce soit leurs copains de classe ou leurs professeures ou moi. C’est pour cela qu’après l’arrêt des répétitions, j’ai enregistré chaque jour un de ces textes et les leur ai transmis par l’intermédiaire de Vanessa Criqui. Ce rendez-vous quotidien a été essentiel pour moi et je les en remercie.
On peut imaginer la peine que cela a été de tout arrêter brutalement en mars 2020. Mais rien n’effacera ce moment de grâce que nous avons vécu.
Chantal Pétillot
29 mai 2020